L’allocation universelle: entre utopie et réalités

Qu’est-ce que l’allocation universelle? Quels sont ses penseurs, ses initiateurs, leurs arguments ainsi que ses principaux principes?

L’allocation universelle se présente comme une solution qui permettrait de dépasser la crise contemporaine du marché du travail qui rend impossible, selon les différents penseurs, tout retour au plein emploi. La solution est radicale: il s’agirait de remplacer les mesures de protection sociale actuelles par le seul octroi d’un revenu minimum de subsistance. Celui-ci serait inconditionnel et au montant égal pour tous, que l’on soit un riche banquier ou un chômeur de longue durée. De la sorte, disposer d’un emploi suffisamment rémunéré cesserait d’être une condition incontournable pour pouvoir vivre décemment. Les plus démunis retrouvent leur dignité et les moins démunis voient leur qualité de vie augmenter.

Le principe de l’allocation universelle certes est simple et séduisant, mais il n’est pas sans poser un grand nombre d’interrogations. D’aucuns craignent par exemple l’apparition d’une paresse endémique. D’autres, le triomphe d’un modèle néolibéral qui arriverait enfin à terme à supprimer toute forme de protection sociale.

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« Si l’ordre civilisé enlève à l’homme les quatre branches de subsistance naturelle, chasse, pêche, cueillette, pâture, composant le premier droit, la classe qui a enlevé les terres doit à la classe frustrée un minimum de subsistance. »

Charles Fourier, La fausse industrie, 1836

Introduction

Présentons d’abord une synthèse de ce qu’est l’allocation universelle (AU), projet original de réforme du système de protection sociale pour répondre à la crise sociale et économique de notre société occidentale.

Le principe d’allocation universelle est un sujet de débat récent. Cependant, son principe de base, allouer un revenu citoyen de somme identique pour tous les membres de la société et indifféremment de leur position socio-économique, prend déjà racine dans la pensée d’humanistes depuis le XVIe siècle. Ils étaient choqués par l’importance des inégalités sociales et de la misère dans une société pourtant riche et en plein processus de civilisation.

Après avoir proposé une brève histoire de l’allocation universelle (communément dénommée Basic Income par les anglo-saxons), il sera expliqué pourquoi cette idée, après avoir été plutôt ignorée pendant l’émergence de la société industrielle jusqu’à la fin des années 80, est reprise par un pool de penseurs pour être actualisée, repensée et débattue. Le principal initiateur est Philippe Van Parijs, Professeur d’économie et d’éthique sociale à l’université catholique de Louvain en Belgique. Cependant, un grand défenseur du projet qui semble aller d’ailleurs plus loin que le premier dans l’élaboration concrète se trouve en la personne du philosophe français Jean-Marc Ferry, ayant publié un ouvrage qui a fait beaucoup de vagues, L’allocation universelle, pour un revenu de citoyenneté (1995).

Le moteur principal d’une telle initiative par du constat que l’État-providence tel qu’il existe dans nos sociétés européennes n’arrive plus à répondre aux conséquences de la crise économique et du marché de l’emploi, considérées comme structurelles. L’argument principal des défenseurs de ce qui serait une réforme radicale de notre système social est que le système de protection sociale actuel montre aujourd’hui ses limites et n’est plus capable de répondre aux problèmes structurels d’envergure qui se manifestent dans l’accroissement du chômage et de la misère. Pour tous les auteurs étudiés, la société actuelle subit de profonds changements et ils n’ont de cesse d’affirmer que nous nous trouvons à un moment pivot de l’histoire.

Ce groupe de penseurs proposent comme solution une allocation universelle, aussi appellée revenu de citoyenneté, revenu minimum garanti ou encore revenu de base. L’intérêt indéniable du projet, profondément réformateur, est de remettre en question beaucoup de points au sujet du système de protection sociale actuel et se transforme volontiers en un vrai débat de société.

Histoire de l’allocation universelle

Bien que le concept semble être débattu et défendu depuis peu de temps, le principe de redistribution d’un revenu national à l’ensemble de la population sous la forme d’une allocation au montant identique, quelque soit l’appartenance socio-économique des bénéficiants, prend ses racines dans la pensée d’humanistes depuis le XVIe siècle[1].

Les humanistes More et Vives : émergence de l’idée d’un revenu minimum

Avec la Renaissance, la préoccupation pour les conditions de vie des pauvres a cessé d’être l’exclusivité de l’église et d’individus charitables isolés. Dans l’ouvrage Utopia de Thomas More (1516), un voyageur portugais raconte la conversation qu’il a eue avec un certain John Morton, archevêque de Canterbury, basée sur un argument: il y a un meilleur moyen de combattre le vol que de condamner les criminels à mort, ce qui a pour effet déplaisant d’augmenter le nombre de meurtres. Il avance au contraire que la situation s’améliorerait si on cherchait à faire en sorte que les criminels potentiels aient de quoi se nourrir, considérant que la faim est le principal mobile qui les pousse au vol puis au meurtre.

Selon Van Parijs pourtant, c’est Johannes Ludovicus Vives (1492-1540) qui doit être vu comme le vrai père de l’idée d’un revenu minimum garanti. Il est le premier à avoir accompagné cette idée d’une argumentation théologique et pragmatique. Dans un mémoire adressé au maire de Bruges en 1526 sous le titre De Subventione Pauperum (De l’assistance pour les pauvres), il propose que le gouvernement municipal endosse la responsabilité d’assurer à ses citoyens pauvres un minimum de subsistance. Cependant, cette vision est subordonnée à l’idée que le pauvre doit afficher sa bonne volonté pour travailler. Vives considère en effet que « même aux personnes âgées et aux personnes stupides, il devrait être possible de donner un travail qu’elles peuvent apprendre en quelques jours, comme creuser des trous, aller chercher de l’eau ou porter quelque chose sur leurs épaules ». Ainsi, le minimum de subsistance n’est pas inconditionnel et doit se gagner parfois durement.

Montesquieu (1748), de son côté, considère que « l’État doit à tous ses citoyens une subsistance sûre, de la nourriture, des vêtements convenables et un mode de vie qui ne nuise pas à leur santé. », sans entrer en matière sur la manière d’honorer ce devoir. Cependant, il est intéressant de constater que déjà à cette époque, le problème de subsistance des pauvres commence à devenir un débat politique.

Les républicains Condorcet et Paine : émergence de l’idée d’un revenu inconditionnel

Vers la fin du XVIIIe siècle, une idée plus aboutie émerge selon laquelle il est nécessaire de se donner les moyens de soulager l’Europe de la pauvreté. Le Marquis de Condorcet est la première personne connue à avoir formalisé clairement cette idée. Dans Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain (1795), il présente ce que devrait être une assurance sociale et comment elle pourrait réduire l’inégalité, l’insécurité et la pauvreté. L’idée d’inconditionnalité émerge alors : il n’est pas nécessaire de forcer les pauvres à des travaux ingrats pour leur donner droit à une aide.

Selon Van Parijs, c’est Condorcet, même si cela demeure largement ignoré, qui a fait brièvement mention d’une idée qui, pour la première fois dans l’histoire, s’approche le plus du concept d’allocation universelle en soutenant l’idée d’une prestation réservée ni aux pauvres ni aux assurés. Il s’agit selon le philosophe du XVIIIe siècle de « faire bénéficier les enfants qui deviennent assez grands pour travailler seuls et fonder une nouvelle famille d’un capital nécessaire au développement de leur activité ».

C’est Thomas Paine (1737-1809) cependant qui a développé cette réflexion avec une plus grande précision, deux ans après la mort de Condorcet, dans un mémoire adressé au Directoire[2] en 1796, considéré par les penseurs actuels de l’allocation universelle comme la référence historique fondatrice de l’idée[3]. Il affirme une position philosophique très forte : « Il est incontestable que la terre, dans son état naturel et non cultivé, était, et aurait toujours continué à être, la propriété commune de la race humaine ». Aussitôt que le territoire est cultivé, « c’est la valeur de l’amélioration, seulement, et non la terre elle-même, qui est dans la propriété individuelle. Tout propriétaire de terres cultivées doit donc à la collectivité une rente foncière (car je ne connais pas de meilleur terme pour exprimer l’idée) pour les terres qu’il possède ; et c’est de cette rente foncière que doit provenir le fonds proposé dans ce plan. » En dehors de ce fonds, « il sera versé à toute personne, lorsqu’elle aura atteint l’âge de vingt et un ans, la somme de quinze livres sterling, à titre de compensation partielle pour la perte de son patrimoine naturel, par suite de l’introduction du régime de la propriété foncière. Et aussi, la somme de dix livres par an, pendant toute la vie, à toute personne actuellement vivante, âgée de cinquante ans, et à toutes les autres à mesure qu’elles atteindront cet âge. » Les paiements, Paine insiste, doivent être effectués « à toute personne, riche ou pauvre, […] parce qu’il tient lieu de l’héritage naturel, qui appartient de droit à tout homme, au-delà des biens qu’il a pu créer, ou hériter de ceux qui l’ont fait à toute personne, riche ou pauvre, […] parce qu’il tient lieu de l’héritage naturel, qui appartient de droit à tout homme, au-delà des biens qu’il a pu créer, ou hériter de ceux qui l’ont fait. » Dans ce cas, l’inconditionnalité devient totale: le droit au revenu est le même pour tous, riches ou pauvres, travailleurs ou non travailleurs.

Les utopistes socialistes Charlier et Mill: une théorisation politique de l’idée de revenu de base

Dans la pensée de Paine, bien que l’idée du droit à un revenu inconditionnel soit nettement apparente, ce dernier n’est pas encore vu comme un revenu garanti par une volonté politique et reste avant tout une considération philosophique. Nombre de réformateurs anglais du XIXe siècle, tels que William Cobbett (1827), Samuel Read (1829) et Poulet Scrope (1833) ont commencé toutefois à considérer ce revenu inconditionnel comme un revenu garanti pour former une base sociale solide meilleure que la simple charité, et à l’envisager sérieusement dans une théorie politique.

C’est l’écrivain français Charles Fourier (1836), souvent considéré comme un utopiste socialiste, qui offre à l’époque une vision plus radicale de l’idée de revenu inconditionnel pour l’ériger davantage en droit absolu et divin. Il voit dans le processus de civilisation une forme de violation du droit de chacun à pouvoir disposer de la nature pour subvenir à ses besoins: « Le premier droit, celui de récolte naturelle, usage des dons de la nature, liberté de chasse, cueillette, pâture, constitue le droit de se nourrir, de manger quand on a faim. […] Jésus, par ses paroles, consacre le droit de prendre quand on a faim, son nécessaire où on le trouve, et ce droit impose au corps social le devoir d’assurer au peuple un minimum d’entretien: puisque la civilisation le dépouille du premier droit naturel, celui de la chasse, pêche, cueillette, pâture, elle lui doit une indemnité. » A l’opposé de Paine, toutefois, et c’est sans doute la raison pour laquelle ce dernier demeure le fondateur idéologique historique de l’allocation universelle, Fourier limite l’indemnisation aux pauvres.

Il faudra attendre l’ouvrage Solution du problème social ou constitution humanitaire de Joseph Charlier (1848) pour voir apparaître ce que Van Parijs considère comme étant la première formulation véritable du revenu minimum garanti (basic income). Il y propose en effet de donner à chaque citoyen un droit inconditionnel à un revenu fixé annuellement par un conseil national représentatif, sur la base d’un calcul du revenu global et réel de l’état. Nous retrouvons ici l’idée de partage indifférencié selon l’origine socio-économique de Paine mais avec cette fois-ci l’ébauche d’un droit juridique.

Toutefois, le plaidoyer de Charlier a été à peine écouté et en outre vite oublié, ce qui n’a pas été le cas de John Stuart Mill qui répond mieux aux objections de ce qui est vu comme un projet socialiste utopiste en précisant qu’il ne s’agit pas d’abolition de la propriété ni du droit à l’héritage. Selon lui, l’approche de Fourier n’empêche pas de prendre en considération comme éléments sujets à la redistribution le capital autant que le travail. Dans cette redistribution, un certain minimum est d’abord assigné pour chaque membre de la communauté, qu’il soit apte au travail ou non. Le reste du produit est partagé dans une certaine proportion, qui doit être décidée politiquement, selon la quantité de travail fourni, le capital et le talent. Cette idée est décrite dans son fameux Principles of Political Economy (1849) et présente l’avantage certain de présenter une allure moins utopique de l’idée de revenu minimum garanti et de la rendre ainsi plus compatible avec l’idéologie politique et économique contemporaine de cette époque, orientée vers une économie de marché libérale. Le concept, tel qu’il est formulé par Stuart Mill prend davantage l’allure d’une proposition de système de protection sociale dans un régime libéral politique et économique que d’une utopie socialiste marxiste.

Après ce bref examen historique, Van Parijs regrette que, malgré que l’idée de l’allocation universelle soit déjà manifestement aussi présente chez l’un des penseurs politiques les plus influents du XIXe siècle, tant de temps se soit écoulé avant que le débat ne refasse surface. Il aura sans doute fallu attendre les grandes crises du vingtième siècle et la fin des trente glorieuses pour que sa pertinence réapparaisse plus clairement.

L’allocation universelle aujourd’hui

C’est au milieu des années 80 (1983-1986) qu’un groupe de chercheurs remet sérieusement à l’ordre du jour le débat autour de l’allocation universelle en décidant de mettre en place un groupe de travail pour explorer les implications de ce qu’ils pensent être une idée extrêmement simple, très originale et une solution réformatrice pour la crise économique structurelle occidentale. C’est aussi à ce moment là que le nom d’ »allocation universelle » est retenu. Les trois membres de ce collectif de travail, Paul-Marie Boulanger, Philippe Defeyt et Philippe Van Parijs sont rattachés, respectivement, aux départements de démographie, d’économie et de philosophie au sein de l’Université Catholique de Louvain, en Belgique.

Le collectif, alors appelé Collectif Charles Fourier, organise en septembre 1986 une première conférence internationale en regroupant toutes les personnes se trouvant des affinités avec l’idée d’allocation universelle. C’est à l’issue de cette conférence qu’il a été décidé de fonder une organisation permanente chargé d’organiser des rencontres mais aussi de promouvoir l’idée de l’allocation universelle: l’association BIEN (Basic Income European Network). Depuis 1986, BIEN a organisé un congrès international majeur tous les deux ans. L’organisation, argumente Van Parijs, est soutenue par de nombreux membres du monde académique mais aussi par des organisations internationales et par des institutions privées.

Philippe Van Parijs, Yoland Bresson et Jean-Marc Ferry sont considérés actuellement comme les principaux défenseurs du projet d’allocation universelle, mais ils sont accompagnés de plusieurs penseurs et d’un grand nombre de sympathisants. Philippe Van Parijs, dans Real Freedom for All (1995), se montre très sensible aux notions de liberté et de démocratie qui ne peuvent arriver à leur épanouissement réel que si, entre autre, on libère le citoyen de l’idéologie du travail, c’est-à-dire de l’obligation d’exercer un métier potentiellement ingrat pour assurer sa survie ou de dépendre de l’assistance sociale avec la stigmatisation qui s’en suit. Le philosophe Jean-Marc Ferry s’est enthousiasmé pour le sujet alors qu’il travaillait sur la question de l’automatisation croissante du monde du travail et a écrit un ouvrage en 1995 qui défend avec force et détermination l’allocation universelle: L’allocation universelle, pour un revenu de citoyenneté. Dans sa conceptualisation, il va plus loin que Van Parijs en donnant une allure plus concrète du projet et en l’accompagnant au final d’un projet de société plus large dont le principe de redistribution ne serait qu’une pierre fondatrice. Yoland Bresson, dans L’après salariat, une nouvelle approche de l’économie (1993), propose une analyse historique et économique approfondie de la société industrielle et présente son opinion selon laquelle le système de redistribution des richesses basé sur le salariat est en crise et sans possibilité de retour vers un fonctionnement harmonieux.

Dans tous les cas, par son aspect original et profondément réformateur, l’allocation universelle suscite de grands débats dont l’intérêt est à la hauteur de la quantité d’éléments sociaux, politiques et économiques qu’il remet en question. Elle n’est pas une simple assurance sociale en plus et fait appel à une philosophie de protection sociale qui se différencie de celle qui forme l’Etat-providence des pays européens.

Le débat actuel

La promotion de l’allocation universelle comme système réformateur de l’état social vient bien entendu du constat que la société occidentale connaît de profonds changements et est dans une situation de crise. Puisqu’il s’agit d’un revenu minimum garanti distribué indifféremment à l’ensemble de la population et qu’aujourd’hui le travail est par excellence le principe de redistribution du revenu des productions, l’analyse se centre tout particulièrement sur la crise de l’emploi. Pour Ferry, « Même si la reprise se confirme, la croissance économique ne créera pas plus d’emplois que de chômage. Elle n’apportera par elle-même aucune solution à l’exclusion sociale » (1995: p. 7). Il considère le droit au travail pas moins comme une hypocrisie qu’il pense néanmoins dépassable « en développant un droit indépendant au revenu, lequel favoriserait aussi l’essor d’un secteur quaternaire d’activités personnelles ».

Cette constatation qui devient une véritable prise de position politique permet d’affirmer que l’allocation universelle consiste « en une réforme radicale de la société qui touche aux fondements mêmes des droits et obligations des citoyens, bref, en une proposition d’un nouveau contrat social » (Gendre, 1996: préambule de Lars Nerdrum). C’est sans doute ce qui fait son originalité et ce qui explique les lourdes résistances exprimées à son propos.

Un constat d’impuissance

Ce n’est pas pour rien que Jean-Marc Ferry s’est intéressé à l’idée d’allocation universelle en analysant le processus d’automatisation des différentes structures de production du marché du travail. En effet, selon lui, c’est la principale raison de la crise du marché de l’emploi. C’est à cause de l’automatisation et de l’informatisation inéluctable des structures de production, que de moins en moins de main d’œuvre est nécessaire et que de plus en plus de citoyens se voient dès lors exclus du marché du travail, tout simplement parce que l’on n’a plus besoin d’eux.

Le deuxième facteur explicatif pour Ferry est la délocalisation de la production dans les pays en voie de développement, conséquence directe de la mondialisation, qui produit un véritable dumping salarial auquel les sociétés occidentales ne peuvent pas répondre. Il devient impossible de concurrencer des pays où la protection sociale est inexistante et où le niveau de vie est considérablement plus bas que le nôtre.

Pour Ferry, mais également pour l’ensemble des penseurs de l’allocation universelle, le système de redistribution tel qu’il existe aujourd’hui a fait son temps et il est urgent de le réformer profondément. Le système de protection sociale est lui aussi aujourd’hui à bout de souffle et ses institutions, assurance chômage, RMI (Revenu Minimum d’Insertion) en France, ne parviennent plus à répondre à ce qui est perçu comme de profonds changements structurels. De plus, ils sont suspectés d’induire des comportements pervers qui ont été souvent étudiés, par exemple celui de préférer recevoir des allocations chômage ou un RMI plutôt que de commencer un travail ingrat qui parfois n’augmente pas le revenu final. Van Parijs présente une liste de processus qui peuvent transformer un chômage occasionnel en une véritable « trappe du chômage »[4]. Alain Caillé considère qu’effectivement « partout en Europe les politiques de lutte contre le chômage ont échoué. […] Lorsque de nouveaux emplois sont créés, il s’agit dans des proportions écrasantes d’emplois à durée déterminée. Incertains et précaires, donc, le plus souvent » (1996: p. 135).

Ferry estime, à l’instar de tous les penseurs de l’allocation universelle, qu’il n’y a plus à l’heure actuelle de modèle global d’intégration sociale véritablement efficace parce que celui qui est basé sur le travail rémunéré (ou « salariat ») ne fonctionne plus. Par conséquent, la valeur idéologiquement liée au travail n’offre plus guère de repères lorsqu’elle ne répond plus à son cahier des charges qui a pour principal objectif le plein emploi. Yoland Bresson estime que « le salariat […] défaille maintenant et nous nous y accrochons comme à un paradis perdu » (Bresson, 1996: p. 105). Comme le rappelle Caillé, « Pour les plus riches comme pour les plus pauvres, depuis quelques décennies, la vie individuelle et collective a été toute entière structurée et rythmée par le fait salarial. C’est en vue de devenir salarié que l’on faisait des études, c’est après avoir accédé à un premier emploi salarié stable que l’on pouvait envisager de fonder un foyer, c’est au prorata des cotisations prélevées sur le salaire qu’on se prémunissait contre les risques d’accident, de maladie ou de chômage, c’est en fonction des salaires antérieurement perçus qu’on percevait sa retraite » (Caillé, 1996: p. 136). En bref, tout a été structuré en fonction du salaire, aussi bien au niveau individuel que collectif. Malheureusement, puisque aujourd’hui le travail tend à devenir un privilège, le salariat ne permet plus à lui seul de faire fonctionner la machine qu’est notre société.

Pour ce qui est des arguments conjoncturels, les défenseurs de l’AU ne croient plus depuis longtemps à une hypothétique reprise économique qui, à elle seule, permettrait un retour vers le plein emploi: « la reprise économique, que l’on annonce de plus en plus fermement, ne doit guère faire illusion. Il faudrait, aujourd’hui et sous nos latitudes, 4% de croissance de la production intérieure annuelle pour diminuer le chômage de 0.5%. C’est qu’entre la production et l’emploi le lien s’est considérablement relâché, ainsi qu’entre l’emploi et le chômage » (Ferry, 1995: p. 15).

Pour eux, le système de redistribution basé sur le salariat et sur l’insuffisance actuelle de la protection sociale doit changer pour permettre à tous les citoyens de conserver un revenu minimum et leur dignité. Ils cherchent à offrir une alternative au discours du libéralisme qui estime que puisque le socialisme réel a fait faillite et que le keynésianisme ne marche plus, seul le libéralisme reste une solution techniquement fiable. Pour que la résorption du chômage ne se fasse pas au prix d’une diminution des rémunérations et ainsi d’une précarisation de la condition des travailleurs, la recherche d’une alternative leur semble indispensable.

L’allocation universelle comme réponse

Selon les défenseurs de l’allocation universelle, nous disposons là de la seule alternative envisageable pour répondre à l’immense crise du travail de nos sociétés occidentales. Van Parijs considère par exemple que « l’allocation universelle est incomparablement moins utopique, par exemple, qu’une politique tablant essentiellement sur les effets de la croissance ou d’une réduction généralisée du temps de travail » (Van Parijs, 1996 : p. 94). Elle est une réponse structurelle à un problème structurel, car en effet il est admis que le temps du plein emploi est irrémédiablement révolu: « Cette transformation de notre mode d’attribution des revenus apparaît comme inéluctable. Elle doit accompagner l’extraordinaire mutation de nos sociétés productives. A l’ignorer ou la retarder nous multiplierons les violences, longtemps cachées, exclusions, chômage, désespérances, qui ne sont que les manifestations pathologiques de l’incapacité de l’actuelle organisation de nos sociétés, centrées sur l’emploi-salarial, à s’adapter à la nécessité » (Bresson, 1993: p. 7). De manière générale, l’allocation universelle est vue par ses défenseurs comme prenant la forme d’une profonde réforme: « ce n’est que si on se réinterroge sur les fondements normatifs de l’État-providence et, plus largement, sur la mission de l’économie dans des sociétés comme les nôtres, qu’une solution technique à un problème dûment circonscrit pourra apparaître comme ce qu’elle est aussi, à savoir une réforme légitimement porteuse d’espérances aussi folles que l’abolition de l’esclavage ou l’instauration du suffrage universel, une utopie mobilisatrice à la mesure de notre temps » (Van Parijs, 1996: p. 102).

Points essentiels de l’allocation universelle

Pour ses défenseurs, l’allocation universelle devrait être un revenu de base, le plus élevé possible, distribué inconditionnellement à tous les individus membres de la communauté et financé par une fiscalité adéquate. Elle ne dépendrait ni de la situation familiale, ni de prestations ou de cotisations passées, ni de la volonté de travailler, ni encore de l’existence de gains ou de revenus obtenus sur le marché ou ailleurs. Ferry la définit comme « un revenu social primaire distribué égalitairement de façon inconditionnelle » (Ferry, 1995: p. 44).

Il s’agit de changer la conception de l’individu en le considérant en premier lieu non plus comme un travailleur mais comme un citoyen. En parallèle, ce qui définit le principe de base d’intégration du citoyen devrait passer de la notion de droit au travail à un droit inconditionnel au revenu (Ferry, 1996). Cependant, il ne s’agit pas pour autant de remplacer le droit au travail par un droit au revenu, mais plutôt, en affirmant le second, « de dissocier le droit au revenu de la contrainte du travail et, ce faisant, de mieux penser le droit au travail comme tel » (Ferry, 1995: p. 46). Ce que l’auteur pense par là est de considérer le droit au travail comme un droit positif et non pas comme une seule contrainte dictée par la nécessité de subvenir à ses besoins. La notion de droit au travail ne serait pas chassée et remplacée par un droit au revenu incitant à la paresse, il prendrait une consistance différente, qui le revaloriserait. Le citoyen deviendrait davantage un offreur de travail qu’un demandeur d’emploi. Grâce à la perception d’une allocation universelle qui permettrait de subvenir à ses besoins, le droit au travail deviendrait celui qui permet de choisir une activité en accord avec ses désirs. Ferry considère que « le droit au revenu, loin d’attenter au droit au travail, l’émanciperait, au contraire, puisqu’il cesserait de faire du travail une obligation de survie alimentaire. Tant que le travail est une contrainte, il n’est pas un droit » (1995: p. 47).

Sur le plan idéologique, Ferry plaide, avec l’allocation universelle, pour un dépassement de l’opposition entre deux camps qu’il juge conservateurs :

  • Le camp moderniste, « parce qu’il continue de raisonner sur le vieux schéma capitaliste (conquête des marchés, élimination des rivaux, le travail comme marchandise) » (1995: p. 48) ;
  • Le camp travailliste, « parce qu’il reste attaché au plein emploi salarié sur un poste offert par le système, et cela dans des secteurs et à une époque où le travail conventionnel, organisé sous une logique d’entreprise propre aux sociétés industrielles, a cessé, du fait de l’automatisation de la production, mais aussi d’une remarquable dématérialisation des économies développées, d’être la première force productive ».

Notons au passage que cette manière de résumer la réalité sociale et politique contemporaine en une opposition entre ces deux camps accompagnée de la volonté de la dépasser trahit chez l’auteur une vision qui prend des allures post-modernistes. En effet, nous y trouvons bien sûr l’idée de révolution, de nouvelle ère, mais aussi quelque part celle de la dématérialisation. Cette critique sera reprise un peu plus loin dans le présent texte.

L’idéologie du plein emploi salarial

La critique du plein emploi rémunéré comme principe de redistribution des richesses et de régulation sociale est centrale chez les défenseurs de l’AU. Pour Ferry, ce qu’il va jusqu’à qualifier d’ »idéologie du plein emploi salarial » est pour lui « le plus grand obstacle à un dénouement positif de la crise actuelle » (Ferry, 1995: p. 51).

Il procède à un travail rétrospectif et historique pour tenter de comprendre pourquoi la valeur du travail est aussi profondément ancrée dans notre culture. Cette valeur trouve son fondement avant tout dans la tradition judéo-chrétienne, d’abord dans le judaïsme antique mais surtout avec la Réforme protestante où le travail (qui prend la forme d’une vocation d’un métier) est vu comme le meilleur moyen de servir Dieu. Puis, le travail devient l’élément essentiel qui permet, à l’époque des Lumières, à l’homme de se créer comme sujet libre ; il devient un élément constitutif de la modernité. Chez Ricardo, mais aussi chez Marx, le travail sera considéré comme le premier facteur de production, avant même la terre et le capital.

Ainsi, comme le souligne Ferry, le travail « est valorisé au point d’être mis au centre de l’explication de l’Histoire universelle, au centre de l’organisation des sociétés, en particulier des sociétés modernes, au centre des conceptions dérivées de la justice, du droit, de la politique, voire de la science et de la vérité elle-même. Le travail comme valeur a réalisé la confluence ou la synthèse de l’éthique chrétienne, de l’éthique libérale et de l’éthique socialiste. C’est-à-dire à quel point cette valeur est puissante moralement, psychologiquement, mais aussi idéologiquement » (Ferry, 1995: p. 53).

Pourtant, aujourd’hui, toujours selon l’auteur, le travail a changé de visage. Il est de moins en moins un moyen pour les individus de construire leur identité personnelle, principalement parce que nous sommes passé du métier à la fonction, mais plus généralement parce que les activités se dépersonnifient et se dématérialisent. Ensuite, il cesse d’être la principale force de production, face aux machines qui réduisent considérablement la quantité de travail nécessaire à la production. Mais surtout, sa pérennité est remise en question puisque selon les défenseurs de l’AU, le travail tend à devenir une denrée rare.

Disparition ou refonte du système de protection sociale actuel

Pour Ferry, « L’allocation universelle justifierait et autoriserait, en outre, une révision profonde des systèmes d’allocations familiales, de retraite, d’indemnisation de chômage longue durée, de bourses d’études, d’allocations de logement, d’allocation de salaire unique, de minimum vieillesse, de revenu minimum dit d’insertion, etc. Il est clair que ces prestations perdraient une partie de leur raison d’être. Cette solidarité sélective est infiniment coûteuse, sur les budgets de fonctionnement, en procédures de contrôle des situations. […] A la simplification et la lisibilité qu’autoriserait l’Allocation universelle, par rapport au système sélectif existant, s’ajouterait une réduction considérable, non seulement des coûts financiers liés aux contrôles de situation et constitutions de dossiers, mais aussi des charges budgétaires liées aux multiples prestations sociales sélectives, dont beaucoup pourraient être abolies progressivement » (Ferry, 1995: p. 69). Dès lors, Ferry estime que l’AU pourrait même dans cette perspective représenter une économie et non pas un surcoût pour les Finances publiques et la Sécurité sociale.

Cela est dit parfois timidement, parfois plus franchement, mais cela apparaît toujours plus clairement dans l’argumentation des défenseurs de l’AU: cette dernière remplace toutes les infrastructures de protection sociale existantes. C’est d’ailleurs une condition pour que cela soit possible et pour que cela soit véritablement une révolution de notre système de redistribution. Alain Caillé le confirme: « le projet d’allocation universelle peut revendiquer à son crédit la simplification qu’il permettrait d’entreprendre du système baroque et bariolé des prestations sociales actuellement existant, puisqu’en principe l’allocation universelle a pour vocation à se substituer aux multiples allocations délivrées aujourd’hui au coup par coup » (1996: p. 145).

L’allocation universelle, un revenu imposable?

En ce point et en date de son ouvrage, le plan de Jean-Marc Ferry diverge de la vision de Philippe Van Parijs[5]. Alors que pour ce dernier le revenu minimum inconditionnel ne doit pas être imposable, il est essentiel qu’il le soit pour le philosophe français. Cependant, Van Parijs, dès 1996, rejoint l’idée de Ferry: « Au lieu de donner à ceux-là seuls qui en ont vraiment besoin – comme dans la version la plus simple du revenu minimum garanti – ainsi qu’à ceux qui sont un peu plus riches qu’eux – comme dans le système d’impôt négatif –, donnons à tous et ajustons par l’impôt. En d’autres mots, instaurons une véritable allocation universelle » (Van Parijs, 1996: p. 100).

Leur argument est que l’impôt progressif serait le seul moyen de rendre ce revenu réellement équitable. Etant donné qu’un riche banquier toucherait le même montant qu’un chômeur de longue durée, seul une imposition judicieuse permettrait de procéder à une répartition plus juste en permettant au chômeur de garder son revenu et en récupérant celui du banquier. Ainsi, pour Ferry, mais aussi pour Van Parijs, c’est l’impôt qui assure une redistribution équitable: « à la différence des prestations sociales conventionnelles, l’Allocation universelle entrerait dans le revenu imposable. Si l’impôt sur les personnes physiques est progressif, alors la justice redistributive, par égalisation, se fait mécaniquement » (Ferry, 1995: p. 75).

Il est a priori surprenant de constater que le philosophe compte sur l’impôt progressif pour « corriger » un système de rémunération dont il défend pourtant l’égalité pour tous. N’y aurait-il pas une forme de contradiction ? Pour prendre sa défense, on peut imaginer toutefois que ce système aurait l’avantage de ne pas nécessiter deux voies de contrôle (celle des impôts et celle de la protection sociale) pour assurer une répartition équitable. Cette idée est d’ailleurs défendue plus clairement par Van Parijs: la répartition se fait « avec un coût administratif moindre – on n’a plus besoin de contrôle préalable des ressources puisque l’allocation est donnée à tous, mais seulement d’un ajustement de l’impôt » (1996: p. 100). En effet, seul l’impôt progressif prendrait en charge le coût de l’opération de calculer individuellement les revenus des citoyens et celui-ci ne serait plus nécessaire pour les mesures de protection sociale si elles se résumaient à la seule allocation universelle. Cependant, cet argument ne suffit pas à nous convaincre car subordonner la crédibilité de l’allocation universelle à un système fiscal singulier ne nous semble pas très fiable. En effet, comment être assuré de la justesse, de la cohérence et de la pérennité de ce système fiscal ? Comme le souligne très justement Alain Caillé, « Avant que de simplifier les comptes de la solidarité sociale, elle [l’allocation universelle] implique la mise en œuvre simultanément d’une réforme de la fiscalité directe et de l’ensemble du système des prestations sociales. On ne voit pas trop quel gouvernement serait susceptible d’avoir la légitimité et les compétences techniques nécessaires à une réforme de cette ampleur » (Caillé, 1996: p. 145).

Le secteur quaternaire

L’idée de libération du travail se lit tout aussi fortement chez Van Parijs, mais c’est chez Ferry qu’elle prend la forme d’un concept, le secteur quaternaire, qui cherche sa place dans un discours politique pour la mise en marche d’une allocation universelle. Pour Ferry, il y a un lien fonctionnel obligatoire entre l’allocation universelle et l’essor d’un secteur quaternaire. Sans ce dernier, il estime que l’allocation universelle ne peut pas réussir. L’idée de la nécessité de ce lien est partagée par Yoland Bresson: « c’est le lien possible avec l’émergence d’un secteur d’activités personnelles autonomes [le secteur quaternaire] qui confère substance et actualité à l’idée d’une allocation universelle conçue comme revenu de citoyenneté lui-même envisagé aussi comme revenu de base ou revenu d’existence » (Bresson, 1996: p. 134). A l’instar de Ferry, il estime néanmoins qu’ »un tel lien n’est pas automatique ou mécanique. Il présuppose l’accompagnement politique de mesures libératoires et d’actions structurelles, ainsi que d’informations et de débats ».

Chez les deux penseurs, il est question de libérer l’individu du travail lorsque ce dernier prend la forme d’une contrainte. La notion de droit au travail subit une redéfinition pour devenir le droit d’exercer un métier, des fonctions, ou des tâches qui nous plaisent et nous conviennent, même si elles ne satisfont pas les impératifs de rentabilité économique directe. Le secteur quaternaire veut offrir au citoyen « la liberté positive de dessiner les contours de son activité, autrement qu’en conformité avec des profils prédéfinis de postes à pourvoir » (Ferry, 1995: p. 122). Ce que cherche l’AU, c’est à pouvoir élargir le champ d’activités « hors-marché », ou plutôt à redéfinir plus largement ce qu’est le marché, sans se limiter à une définition économique pure. Le but ultime est de réconcilier la sphère économique et la sphère sociale, de redonner une cohérence sociale au marché, car, comme le souligne A. Caillé, « Marché et Etat ne sont légitimes que pour autant qu’ils favorisent l’initiative, l’invention, la créativité et la solidarité des citoyens. Ils perdent toute légitimité lorsqu’ils les font dépérir en s’y substituant » (1996: p. 142). Pour les opposants de l’AU, la mise en place de ce secteur quaternaire représenterait une fission du social et de l’économique, mais pour ses défenseurs, il permettrait au contraire une réconciliation de ces deux sphères.

D’un point de vue plus théorique, Ferry en vient à regretter que la critique marxiste sur le travail ait été mise de côté lorsque qu’était mentionnée la différence entre des formes libérées et des formes aliénées d’organisation du travail. Selon lui, compte tenu d’une situation nouvelle qu’il qualifie timidement de « postindustrielle », c’est à nous de nous demander « ce que serait, ici et maintenant, un travail libre, épanouissant pour les individus, et, de là, de nous demander ce qui, très concrètement, met aujourd’hui la réalité quotidiennement vécue à distance de cet idéal ou de cette aspiration » (Ferry, 1995: p. 55). L’allocation universelle étant un revenu de subsistance, elle permet à ses bénéficiaires de survivre sans activité professionnelle rémunérée. Ainsi, son intention philosophique est de favoriser l’exercice d’activités jusqu’à lors jugées inutiles et non productives par l’économie. L’idée est de libérer le travail de la sphère économique pour l’intégrer également dans la sphère sociale.

Ferry définit alors le secteur quaternaire comme un secteur « d’activités non mécanisables, par définition, qui pourrait être en même temps un secteur de travail libre et d’intégration sociale par des activités socialisantes par excellence: celles, manuelles, dans lesquelles le producteur peut se reconnaître dans son produit (une demande potentielle existe, chez les consommateurs, pour les productions personnelles de qualité, ainsi que, chez les jeunes, pour des formations traditionnelles); celles, communicationnelles, où les individus nouent des relations communautaires dans des domaines associatifs variés, culturels, sportifs, artistiques, etc. » (Ferry, 1995: p. 104). Principalement, ces activités sont personnelles et autonomes. Ce secteur n’est pas censé être protégé artificiellement de la sanction des marchés, mais ces derniers devraient davantage s’ajuster à l’échelle de l’économie sociale.

Avec l’idée d’un secteur quaternaire, Ferry entend répondre directement aux critiques de ceux qui estiment que le principal défaut de l’allocation universelle est de refuser le fait que le travail est le facteur d’intégration sociale le plus fort et le plus efficace que l’on connaisse. Il est parfaitement d’accord avec cette dernière idée, mais il estime que la définition du travail ne devrait pas s’arrêter au salariat. Toute activité utile socialement, même si son utilité économique et productive n’est pas directement visible peut-être considérée comme étant du travail. Van Parijs regrette l’existence d’un « blocage intellectuel qui empêche de voir ce qui apparaît comme un droit au revenu puisse avoir pour objectif et pour effet de restaurer le droit au travail » (Van Parijs, 1996: p. 95). En effet, plutôt que de limiter la définition du travail à la seule activité rémunérée par le marché de l’emploi et ainsi à priver ceux qui en sont exclus de son indéniable pouvoir d’intégration, Ferry entend favoriser l’émergence d’un secteur ou l’impératif économique s’assouplit pour laisser place à l’utilité sociale. A terme, pour l’auteur, « le secteur quaternaire – telle est son utopie – représente le milieu, jusqu’alors irréaliste, qui permettra de lier la croissance matérielle à un libre développement des individualités, l’une des voies concrètes sur lesquelles les sociétés postindustrielles pourraient engager la réconciliation de l’économie et de la société » (Ferry, 1995: p. 112).

Une critique de l’allocation universelle

L’allocation universelle est un projet séduisant. Elle séduit parce qu’il offre des perspectives alléchantes pour le citoyen de demain: exercer les activités qu’il désire et ne plus être victime de la contrainte de rentabilité. Elle continue de séduire parce qu’elle propose une solution à la crise du marché de l’emploi qui traverse nos sociétés occidentale en permettant aux citoyens les plus défavorisés de retrouver une dignité et un revenu minimum de subsistance sans avoir à subir les effets pervers et la stigmatisation induite par l’assistance publique, l’assurance chômage, ou le RMI, pour ceux qui y ont droit. Puis elle séduit encore une fois parce qu’elle a une allure simple et facile à comprendre. Son côté réformateur et militant attise les opinions et nourrit avec force et passion de longs débats de société.

Malgré cela, il semble que l’allocation universelle ressemble aujourd’hui encore davantage à une utopie politique qu’à un projet véritablement réalisable à l’échelle d’un pays ou par exemple de l’union européenne.

J’ai tenté jusqu’ici de rapporter dans un mode aussi descriptif que possible ce qu’était l’allocation universelle, d’où son idée venait, quels étaient les acteurs qui la défendaient, quels étaient leurs principaux arguments et quelques critiques qui leur ont été adressées.

Le moment est venu d’adresser des critiques qui, à l’exception de la première qui est tirée directement des différentes sources mentionnées, n’engagent que moi.

L’être humain est-il paresseux par nature ?

« Pour Elster (1986), l’AU promeut une culture du non-mérité, car elle permet à chaque individu de recevoir automatiquement un revenu sans travailler, c’est-à-dire sans ‘mériter’ socialement de l’obtenir. Cette critique, dont la nature est sociologique, attribue à l’activité économique ou marchande – celle qui produit des richesses qui sont ensuite échangées sur le marché – la propriété d’une intégration fonctionnelle au-dehors de laquelle l’intégration sociale de l’individu ne serait pas complète » (Gendre, 1996: p. 15). Mais, même si il est reconnu que la sphère productive reste par excellence la sphère de l’intégration sociale, Gendre répond à cette critique en se demandant s’il est juste de considérer que seule la population active ait droit à une pleine souveraineté et à une réelle citoyenneté. Cette critique ne tient pas compte « du phénomène social de l’exclusion, ni des personnes qui ne peuvent pas travailler ou qui fournissent un travail non rémunéré, mais socialement désirable ».

Jean-Marc Ferry répond lui aussi à cette critique lorsqu’il parle d’un nouveau secteur quaternaire d’activité qui, même si sa sanction positive n’est pas directement une rémunération, peut être vecteur de mérites sous de nombreux autres aspects: création d’idées nouvelles, bénévolat, formation pour n’en citer que quelques uns. L’argument d’Elster est marqué par l’idée d’un lien indissociable entre activité et rémunération, démarche qui semble ne pas tenir compte de la réalité sociale. Que penser par exemple de l’immense travail que représente la prise en charge de jeunes enfants ou de l’entretien d’un foyer? N’est-elle pas méritoire parce qu’elle n’induit pas de revenu?

Incitation à la paresse

Dans le même esprit, une autre critique mais qui ressemble fortement à la précédente peut subvenir tout naturellement lors d’une première lecture du projet d’allocation universelle: puisqu’un revenu minimum de subsistance inconditionnel est assuré, qu’est-ce qui incitera les individus à travailler? Les tenants de cette critique présupposent que l’homme est par définition paresseux et que sans l’obligation de trouver sa place dans le monde du travail pour subvenir à ses besoins, il tendrait vers l’oisiveté.

Gendre rappelle pourtant que la majorité des individus ne souhaite pas vivre au niveau de subsistance: « au sein d’une société caractérisée par la croissance économique grâce à laquelle le superflu est de plus en plus à la portée de tous, les individus visent principalement à améliorer leur sort. […] Ils développent des aspirations et des projets de vie en fonction de l’information qu’ils ont des possibilités que leur offrent la société » (Gendre, 1996: p. 19).

Le regard de Jean Baudrillard sur la société de consommation (1970) ne permet pas de supposer que l’individu se contenterait d’un revenu minimum d’existence qui lui rendrait inaccessible tous les bonheurs et enchantements potentiels de la consommation. Le processus sans fin que décrit le philosophe et sociologue français, le désir toujours insatisfait d’abondance, mène irrémédiablement vers un désir de croissance et d’accroissement du pouvoir d’achat.

En outre, le travail ne perdrait en rien son pouvoir de façonnement de l’identité, même si il prenait moins la forme d’une contrainte avec l’introduction d’une AU. Tout au plus peut-on imaginer un effet que Ferry voit comme positif: la marge de choix s’élargit parce qu’il devient dès lors possible de refuser un travail ingrat pour lui préférer une activité plus gratifiante, même si sa rémunération est moindre. Pour Van Parijs, l’AU n’offre pas seulement une amélioration du pouvoir d’achat, mais également le pouvoir de mieux choisir son avenir.

Comme dans la critique précédente, le problème se situe probablement au niveau de la définition du travail et de son lien direct avec la rémunération. Une personne autonome mélangeant travail rémunérateur et activités personnelles ne serait pas perçue comme paresseuse si l’observation se portait sur l’ensemble de son emploi du temps. Cela revient un peu au même que de penser, selon la pensée populaire, que les « éternels étudiants » sont des paresseux parce qu’ils ne participent pas directement aux structures de production.

Cette perception qui, pour Atkinson et Mogensen (1993) manque de fondement, ne serait pas nouvelle. Elle existe déjà face aux chômeurs et aux rentiers qui sont souvent vus comme des profiteurs.

Répartition des tâches

Plus pertinente me semble être la question de la répartition des tâches. Plutôt que de faire des hypothèses sur la nature profonde de l’être humain, à chercher à savoir si il est foncièrement paresseux ou actif, je me demande qui sera prêt à faire les tâches ingrates (travail à la chaîne, construction, chantiers, manutention, déménagements, etc). Nous n’avons malheureusement rencontré aucune réponse à cette question dans les arguments des défenseurs de l’allocation universelle.

Le principe de redéfinition du droit au travail que propose Ferry est bien entendu très séduisant. Un des effets souhaités de l’allocation universelle serait de libérer ce droit de sa dimension contraignante, c’est-à-dire de ne plus forcer une personne à accepter un travail ingrat parce qu’il est le seul garant de la subsistance. Qui ne voudrait pas abandonner son travail austère pour s’engager dans une activité au diapason de ses envies?

La question qui me vient est de savoir qui serait dès lors disposé à répondre à toute cette quantité de travail ingrat qu’il est pourtant nécessaire de faire? Les étrangers? Les pays en voie de développement pour tout ce qui est transportable? Il m’est en effet difficile, à mon plus grand regret, d’imaginer une société où personne n’aurait à s’acquitter de tâches désagréables.

Renonciation à un discours critique sur le libéralisme et la mondialisation

Une chose est très frappante dans le discours de Ferry: sa vision de la société et de l’individu semble avoir des affinités troublantes avec la vision libérale. Malgré le fait qu’il attaque à plusieurs reprises les excès du néolibéralisme et du capitalisme, sa vision de l’être humain est profondément individualiste et libérale. Le citoyen est appelé à se prendre en main et à inventer son propre avenir, même si dans sa philosophie à lui celui-ci est soutenu par une allocation universelle. Il est fait mention plusieurs fois de l’idée qu’avec l’AU un chômeur structurel aura l’occasion de créer sa propre entreprise, avec une tolérance à l’échec particulièrement élevée. De même, Ferry estime que « l’Allocation universelle ne réduira les coûts sociaux que si elle ‘responsabilise’, ne serait-ce qu’au niveau du budget de santé des ménages, ou encore, pour les prévisions de retraite, et si, de plus, elle motive, en dernière instance, à l’insertion sociale, c’est-à-dire, surtout, à l’initiative et à l’entreprise, davantage qu’elle ne favorise l’installation des jeunes dans l’inactivité et la marginalité » (Ferry, 1995: p. 95). Dans un tel discours, on sort clairement de la philosophie d’un état providence paternel pour entrer dans une philosophie davantage libérale où c’est à chacun de se prendre en main pour gérer son destin.

De manière générale, il y a comme une sorte de renonciation face à la puissance de l’économie de marché et de ses effets pervers. Nous sortons du discours qui oppose traditionnellement une vision libérale à une vision plus socialiste et ainsi, le marché est perçu comme une chose inéluctable. Dans cette perspective, l’AU ne cherche pas à critiquer l’idéologie libérale mais semble davantage l’accompagner.

Lorsque par exemple Ferry dénonce le dumping salarial induit par la délocalisation de la production dans des pays en voie de développement il souligne, à raison, qu’il est impossible de leur faire concurrence en précisant que cela est dû à l’absence d’infrastructures de protection sociale. Il imagine alors une société occidentale qui aurait avantage à développer un secteur quaternaire, tel qu’il a été présenté précédemment, en acceptant la délocalisation. Ferry renonce de la sorte à toute tentative de régler le problème du capitalisme sauvage et des effets de la mondialisation à grande échelle. Sa proposition tend à renforcer les privilèges des pays les plus avancés et à accroître les inégalités. Nous aurions une communauté européenne dont les citoyens disposeraient d’une allocation universelle leur permettant de s’engager dans le secteur quaternaire avec des activités davantage conformes à leurs désirs et des pays en voie de développement où la majorité des gens seraient des ouvriers exploités. S’agit-il réellement d’une vision anti-libérale?

Effets macro-économiques à long terme

Le système d’allocation universelle impliquant des changements profonds dans l’organisation de l’économie et dans sa relation avec le travail, il nous est impossible de ne pas nous interroger sur ses effets macroéconomiques à long terme.

Je crains que l’application de cette formule ne soit pas viable sur le long terme et que des éléments économiques structurels finissent par absorber la plus value d’un revenu minimum inconditionnel pour les ménages. Etant donné que ce revenu s’ajoute de manière uniforme à tous les ménages, qu’ils soient riches ou pauvres, il semble tout d’abord qu’il n’apporte aucune solution au problème des inégalités. Sur un graphique de répartition des richesses entre différentes couches sociales, il prendrait la forme d’une ordonnée à l’origine sans modifier les propriétés et la forme de la courbe. Après une courte ou moyenne période d’augmentation de pouvoir d’achat qui permettrait aux plus pauvres de s’en sortir financièrement et aux moins pauvres d’élargir leurs horizons, ne risque-t-on pas de rencontrer un processus inflationniste qui aura pour effet final d’absorber complètement cette plus value?

La démonstration en laboratoire est une chose extrêmement complexe que des macro-économistes seraient plus compétents que moi à faire. Toujours est-il que mon intuition ne nous semble pas être tout à fait dénuée de pertinence et dans tous les cas, la question mérite d’être posée. Pour le dire le plus simplement possible, le soufflé ne risque-t-il pas de se dégonfler peu après être sorti du four?

L’ennui majeur est, si l’on suit à la lettre le projet tel qu’il est exposé par Jean-Marc Ferry, par Van Parijs ou encore par Alain Caillé, en accompagnant l’établissement de l’allocation universelle d’une abolition des autres formes d’assurance sociale, qu’après un tel effet macro-économique correcteur et inflationniste nous nous retrouvons dans une société où il y a à la fois de grandes disparités sociales et plus d’institutions de protection sociale. La situation économique redeviendrait la même qu’aujourd’hui, avec toutes ses difficultés, mais avec l’État-providence en moins. C’est un risque énorme et tout un travail de reconstruction de l’état social serait à faire avec pour lourde tâche de convaincre l’ensemble des citoyens et les politiques que l’allocation universelle ne suffit plus à assurer la justice sociale.

Une vision post-moderniste

L’ensemble des auteurs qui défendent l’idée de l’introduction d’une allocation universelle sont d’accord sur ce point: la société actuelle subit de profonds changements en très peu de temps. Ce sentiment est très fort et se ressent partout dans la littérature des défenseurs de l’AU. Yoland Bresson écrit par exemple: « Nul n’ignore, aujourd’hui, que nos sociétés subissent une transformation radicale, de l’ordre de la métamorphose. Les hommes sont emportés dans ce bouleversement sans pouvoir imaginer le monde qui vient » (Bresson, 1996: p. 105). Ce qui nous frappe est que cette sensation de vivre dans un monde qui change radicalement et en permanence n’est pas le propre de ces penseurs et est en quelque sorte partagée par la pensée libérale dominante, malgré le fait que, pour cette dernière, le retour vers la croissance reste son principal argument. Nous retrouvons la même idée dans l’engouement pour la société de l’information et pour les nouvelles technologies. L’idée est que le monde change et puisqu’il change, il faut le changer davantage. Cette obsession pour les changements aboutit à l’idée d’une société post-industrielle et/ou post-moderne.

Je suis tenté d’émettre quelques réserves critiques face à cette obsession du changement. Certes, notre but n’est pas de juger si objectivement le monde change effectivement plus rapidement et plus souvent aujourd’hui que par le passé. La question semble déjà étrange. Tout au plus il me semble pertinent de m’interroger sur ce sentiment partagé et exacerbé de faire face à de perpétuels changements.

En tant que sociologue, il est possible d’adopter un point de vue quelque peu différent, sans qu’il soit forcément contradictoire. En effet, il me semble tout autant possible de m’étonner de la permanence et de la continuité d’un grand nombre de choses. La modernité, qui semble pourtant changer de visage à chaque nouvel événement, reste dans ses principes fondateurs la même, à tel point qu’il serait peut-être abusif de parler sans cesse de révolutions. En effet, les traits fondamentaux qui caractérisent le projet de modernité perdurent. Il est toujours question d’augmenter les performances, d’alléger le travail de l’homme, de favoriser les échanges, pour ne citer que certains traits secondaires. Les critères les plus pertinents sont les éléments centraux du projet de la modernité tels qu’ils sont décrits par le sociologue allemand Max Weber (première publication en 1919, édition française de 1959): permettre à l’homme d’être maître de son destin par l’usage de la connaissance scientifique, favoriser la bureaucratisation visant à rationaliser l’ensemble de la réalité sociale, démocratisation de masse pour libérer l’homme d’un pouvoir autoritaire non choisi et n’étant pas basé sur la raison. Ces traits fondateurs ne changent pas et cherchent au contraire à être renforcés dans la société de l’information et le seraient probablement aussi dans une société libérale avec une allocation universelle telle qu’elle est envisagée par les auteurs.

Il y a une sorte de contradiction (ou de dialectique) dans le projet de l’AU entre l’idée de révolution et une profonde continuité. D’un côté il s’agit d’un projet présenté comme tout à fait révolutionnaire, et d’un autre côté il semble être dans la parfaite continuité de la pensée sociale sur la modernité avec ses idéaux de liberté, d’autonomie et d’individualisme.

Conclusion

L’allocation universelle a le mérite indéniable d’ouvrir et d’alimenter un débat passionnant sur un problème majeur de notre société occidentale: la crise du marché de l’emploi. L’objectif du plein emploi, jadis incontournable, est aujourd’hui largement remis en question. L’automatisation croissante de la production et les problèmes liés à la mondialisation tels que la délocalisation de la main d’œuvre semblent rendre impossible sa réalisation. Le deuxième constat est que l’État-providence est en crise et ne parvient plus à contrecarrer l’exclusion sociale et les inégalités.

L’analyse de la situation que font les penseurs audacieux de l’allocation universelle nous semble souvent d’une indiscutable pertinence. Il est juste de ne pas limiter le débat à des considérations économiques aveuglées par le seul paradigme idéologique libéral. Le problème du marché de l’emploi n’est pas seulement économique: il est avant tout social et politique. Traiter le problème avec un regard philosophique, sociologique et historique est parfaitement justifié.

Cependant, l’allocation universelle, bien qu’elle soit une idée très stimulante et très intéressante, ne me convainc pas tout à fait dans la forme où elle est défendue par ses initiants. Je regrette principalement, contrairement à ce qu’elle croit, qu’elle tende à renoncer à une réelle critique du libéralisme et de la mondialisation. Elle n’est certes pas définitive et mérite sans doute d’être critiquée, mais mon impression est que l’allocation universelle s’inscrit dans la continuité d’une vision capitaliste, individualiste et libérale du monde. Sa simplicité est séduisante, trop séduisante peut-être; mais elle ne doit pas masquer l’immense complexité de nos problèmes économiques et sociaux actuels.

En somme, je préfére à cette utopie une analyse classique opposant libéralisme et socialisme moderne, une analyse qui prenne davantage en compte l’idée que tout système social est d’abord le produit d’une construction humaine et historique et que ses conséquences sont issues de choix politiques. Toute idée d’inéluctabilité et de naturalité heurte ma sensibilité de sociologue et attise ma méfiance. Il en va de même lorsque je me trouve confrontés à l’obsession du changement, qu’il soit constaté ou prôné, où à l’idée de post-modernité, l’idée que rien n’est comme avant, ce qui n’est pas étranger d’ailleurs à l’idée d’inéluctabilité. Au contraire, je suis frappé par la continuité des choses et de voir à quel point les débats, derrière une parure de nouveauté, tendent à mesure qu’ils sont approfondis à rester souvent les mêmes.


[1] Voir l’historique proposé par Philippe Van Parijs: « A short History of Basic Income »: http://www.etes.ucl.ac.be/bien/BI/HistoryBI.htm (07/2003)

[2] Pouvoir exécutif formé de 5 membres qui a gouverné la France pendant la majeure partie de la période qui sépare la décapitation de Robespierre de la montée au pouvoir de Napoléon.

[3] L’organisation « BIEN » (Basic Income European Network) cite le travail de Paine dans leur fascicule de présentation : « Ainsi définie, l’idée d’allocation universelle a été défendue sous différentes appellations (revenu de citoyenneté, revenu d’existence, dividende social, revenu de base, etc.) et à partir d’arguments très divers, depuis sa première formulation dans un mémoire adressé au Directoire par Thomas Paine en France en 1796 ».

[4] Voir Van Parijs, 1995 : pp. 95-97.

[5] Cf. note de bas de page dans Ferry, 1995 : p. 73.


Références

Baudrillard, Jean (1970). La société de consommation. Paris: Folio.

Bresson, Yoland (1993). L’après salariat, une nouvelle approche de l’économie. Paris: Economica.

Bresson, Yoland (1996). « Le revenu d’existence : réponses aux objections », Vers un revenu minimum inconditionnel ?, in Revue du Mauss, nº7.

Caillé, Alain (1996). « Pour en finir dignement avec le XXe siècle. Temps choisi et revenu de citoyenneté », Vers un revenu minimum inconditionnel ?, in Revue du Mauss, nº7.

Ferry, Jean-Marc (1995). L’allocation universelle, pour un revenu de citoyenneté. Paris: Editions du Cerf.

Ferry, Jean-Marc (1996). « Revenu de citoyenneté, droit au travail, intégration sociale », Vers un revenu minimum inconditionnel ?, in Revue du Mauss, nº7. Disponible sur le Web: http://users.skynet.be/sky95042/mauss.htm (07/2003)

Ferry, Jean-Marc (1997a). « Pour une autre valorisation du travail. Défense et illustration du secteur quaternaire », entretien avec Jean-Marc Ferry, par Olivier Mongin, in Revue Esprit, juillet 1997, nº234, pp. 5-15. Disponible sur le Web: http://users.skynet.be/sky95042/iw_espri.htm

Ferry, Jean-Marc (1997b), « Liberté, égalité, citoyenneté », entretien avec Jean-Marc Ferry, par Jean Sloover, Le Soir Bruxelles, 21/11/91. Disponible sur le Web: http://users.skynet.be/sky95042/iw_soir.htm

Gendre, Nicolas (1996). Allocation universelle : innovation sociale, réforme de l’Etat providence et économie du bien-être. Fribourg : Série « L’économie au temps retrouvé », nº2.

Van Parijs, Philippe (1992). Arguing for Basic Income. London, New York: Verso.

Van Parijs, Philippe (1995). Real Freedom for All. New York: Oxford University Press

Van Parijs, Philippe (1996). « De la trappe au socle, l’allocation universelle contre le chômage », Vers un revenu minimum incondtionnel ?, in Revue du Mauss, nº7.

Weber, Max (1959). Le savant et le politique. Paris: Plon.

Site Internet de l’association « BIEN » (Basic Income European Network), http://www.basicincome.org (07/2003).

Une réflexion sur “L’allocation universelle: entre utopie et réalités

  1. Après relecture de ce texte, et après les débats qui ont accompagné la votation fédérale du 5 juin 2016, je regrette de n’avoir toujours pas vu de réponse à l’opposition que j’ai moi-même formulée il y a 10 ans. Les détracteurs de l’initiative ont nourri la peur de voir les travaux ingrats non réalisés si un tel régime économique était adopté. Pourtant, avec le recul, la réponse me parait aujourd’hui relativement simple. Il suffirait de valoriser ces tâches dites ingrates. Je serais en effet le premier à me porter volontaire pour nettoyer les toilettes d’un bâtiment, à la lame de rasoir si nécessaire, si on me payait 1000 francs la journée, soit le revenu minimum que peut espérer un consultant qualifié en informatique ou en finances. La droite libérale souhaite soumettre toute forme d’activité aux règles du marché. Pourquoi pas celle-là? Là aussi, laissons courir la loi de l’offre et de la demande, et on verra les tâches que personne ne veulent faire prendre de la valeur.

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