Les mots et les choses du numérique

Nous sommes désormais tous d’accord : avec la numérisation, notre monde a changé, malgré une indiscutable continuité. Bien que reposant plus que jamais sur un modèle capitaliste qui ne date certes pas d’hier, il a changé dans sa façon de fonctionner, mais aussi de penser et de se penser. Malgré ce consensus qui s’impose face aux faits, il reste difficile de désigner un concept fédérateur qui ne soit pas traversé par des enjeux de pouvoir sérieux, notamment commerciaux. Le concept du « big data », issu des milieux technologiques, est probablement le plus dominant, mais il n’a jamais été neutre ni scientifique. Big data, humanités digitales ou numériques, société du savoir, révolution de l’Internet, révolution numérique, disruption numérique, capitalisme informationnel, capitalisme cognitif, société de surveillance… avec quel concept les chercheurs en sciences sociales peuvent-ils alors travailler ?

foucault1

Dans Les mots et les choses (1966), Michel Foucault historicise le savoir et propose d’étudier son développement (tout sauf linéaire) depuis l’âge préclassique jusqu’à la modernité, autour du concept d’épistémè. Malgré la grande complexité de ce qui est sans doute le texte le plus dense du philosophe, on peut y deviner l’esquisse de trois épistémès qui se succèdent : celle de la pensée préclassique, qui aurait prévalu jusqu’au XVIe siècle ; l’épistémè classique, qui s’étend du XVIIe au XVIIIe siècle ; puis l’épistémè moderne, ayant émergé au XIXe siècle et qui aura en tout cas survécu au philosophe mort en juin 1984. Car en effet, comme nous le savons tous, Michel Foucault n’aura pas connu la révolution numérique et nous sommes bien nombreux à essayer d’imaginer ce qu’il aurait pu en dire. Aurait-elle, selon lui, engrangé tant de changement dans la façon de produire et d’organiser le savoir qu’elle aurait mérité qu’on lui réserve le qualitatif d’épistémè numérique ? Le 10 mars 2017, à l’occasion de la conférence organisée par le LabCMO de l’UQAM, je proposerai de développer une telle hypothèse en passant en revue les caractéristiques des différentes épistémès. Elle sera mise à l’épreuve de quelque cas empiriques pour ouvrir une discussion sur sa validité théorique, empirique et méthodologique.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *